Pour la première fois, RCP a posé ses valises au Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême (que nous abrégerons dans cet article en FIBD voulez-vous?) 2 jours et demi au coeur du plus grand et prestigieux festival consacré au 9ème art !
2023 est une année spéciale pour cet événement car le balbutiant (mais déjà relativement gros) rassemblement de passionné devenu mastodonte immanquable soufflait ses 50 bougies. Son histoire et son développement suivent celle du médium qu'il oeuvre à anoblir. Le tournant des années 1960 a vu la bande dessinée prendre une dimension moins tout public, plus adulte et ce, dans tous ses grands foyers mondiaux comme aux USA et au Japon. Forme d'expression jusque là massivement dévaluée, l'explosion contre-culturelle de cette époque la transcende et défonce bon nombre de portes closes jusque là afin d'explorer toutes ses possibilités artistiques. C'est dans cet élan qu'une dizaine d'années plus tard, la première édition du festival se tient fin janvier 1974 avec déjà des invités prestigieux comme Franquin, père de Gaston Lagaffe ou encore Jean Giraud aka Moebius, auteur de Blueberry et l'une des figures de proue du magazine Métal Hurlant qui va révolutionner l'imaginaire artistique mondial dès l'année suivante. Le succès est déjà là et il ne va faire que grandir, tout comme sa taille et la reconnaissance publique de la bande dessinée. Dans sa forme actuelle, le FIBD transforme littéralement Angoulême en ville-BD pendant 4 jours. Tout son centre ville jusqu'à sa gare devient à la fois librairie gigantesque et temple. Librairie d'abord parce que le plan se compose de nombreuses "bulles", chapiteaux plus ou moins étendus qui rassemblent bon nombre de maisons d'éditions mettant en avant leur catalogue et invitant leurs auteurs et autrices maison pour des rencontres avec leur lectorat. De ce fait, le FIBD est souvent l'occasion de trouver certains titres en avant-première, des goodies collectors uniquement trouvables durant les 4 jours. Certains éditeurs sortent même occasionnellement des couvertures exclusives au festival. Pour passionnés comme curieux, faire un tour sur ces stands est synonyme de découvertes, de trouvailles rares mais aussi d'échanges avec les exposants et artistes qui nous gratifient d'un joli dessin personnalisé. Tout est là pour ramener de beaux souvenirs à la maison ou pour gonfler sa bibliothèque.Temple enfin car le FIBD se décline en de nombreuses rencontres, conférences, spectacles, masterclass et expositions auxquelles les festivaliers sont conviés tout au long des 4 jours. Ils se dispatchent un peu partout sur le centre-ville, dans certains des lieux connus d'Angoulême comme le Musée ou la salle de spectacle l'Espace Franquin. Le festival tient aussi une cérémonie de remise de prix à la manière des Oscars, récompensant une sélection d'albums dans différentes catégories. Le plus convoité et prestigieux d'entre-eux est le Grand Prix d'Angoulême, decerné cette année à Riad Sattouf, auteur du (re)connu l'Arabe du Futur, entre autres. Ces occasions permettent aux visiteurs de rentrer plus intensément dans les processus créatifs et l'histoire de la bande dessinée. Le FIBD mise sur la variété et il est impensable que tout soit faisable, même en le faisant dans son intégralité, c'est pourquoi nous vous proposons de le vivre à travers nos yeux et de se rendre compte d'une infime partie de la richesse de ce qu'offre l'événement.
Voici le plan qui nous est fourni en arrivant, histoire de vous donner une idée de la taille de l'événement et de la prolifération de points d'intérêts
Après une arrivée aux abords de la ville la veille en début de soirée et une nuit de repos, notre première journée démarre sur les chapeaux de roues : Récupération des pass, du plan, du programme et direction le Monde des Bulles, la plus grande des "bulles" du festival située au coeur de la ville ! Elle est entièrement dédiée aux gros éditeurs de BD, ceux avec la plus grande exposition sur le marché comme Glénat ou Dargaud. Ici, vous y trouverez surtout de la bande dessinée occidentale, école franco-belge et comics. Les titres et artistes mis en avant sont très variés, pour tous âges et sensibilités, du plus connu au plus confidentiel. Faire un tour dans cette bulle avait visée stratégique pour nous : commencer le shopping et ainsi acquérir tôt nos tickets de dédicaces pour rencontrer les autrices et auteurs qui nous intéressaient plus tard dans la journée. Car oui, chez les plupart des maisons d'éditions du salon, et surtout chez les plus grosses écuries qui invitent les plus grands noms du salon et donc concentrent le plus de public, une dédicace n'est accessible que grâce à un ticket. Il est offert pour l'achat d'au moins un article sur le stand qui invite l'artiste en question. Et comme un peu partout, premiers arrivés, premiers servis et il n'y en a pas toujours pour tout le monde ! Ceci fait, le sac un peu plus lourd et ticket en poche pour l'après-midi, nous avons profité du creux dans notre emploi du temps pour nous rendre à l'une des grandes attractions de cette édition : La Chapelle Druillet. Son nom temporaire est emprunté à Philippe Druillet, auteur pionnier dans le domaine de l'imaginaire en BD au style halluciné et monumental dont le travail a autant influencé de grands cinéastes tels que George Lucas et Ridley Scott que toute la SF japonaise spatiale. Impossible d'échapper à son influence dès lors que nous mettons le nez dans la science fiction visuelle à partir des années 70, peu importe le support. Son oeuvre fondamentale était à l'honneur lors d'une exposition dédiée (que nous avons eu la chance de voir le dimanche matin) et dans ce lieu singulier. En effet, la chapelle Guez-de-Balzac s'est mue en sanctuaire de science fiction immersif. Planches de l'auteur en mouvement projetées sur les murs et musiques martiales se mêlaient en un tout impossible à retranscrire fidèlement à l'écrit, à l'image de l'auteur : Démesuré et magnifique. Chapelle Druillet, dans laquelle le regard ne savait où donner de la tête !
Après cet instant d'émerveillement et une pause repas, nous nous sommes arrêtés au Nouveau Monde, "bulle" située près de l'Hôtel de Ville. De taille plus modeste et moins surpeuplée que le Monde des Bulles, c'est ici que vous trouverez les auteurs alternatifs et indépendants de tous horizons. Se trouvent aussi bien de la BD européenne, du comics ou du manga. C'est clairement l'endroit où vous pourrez dénicher de véritables pépites qui sortent des sentiers battus et où vous pourrez également vous procurer nombre d'objets originaux. L'un des autres points forts de cette "bulle" est que vu que les exposants sont de taille plus modestes et ont un rayonnement grand public moins forts que leurs collègues des autres "bulles", les artistes invités comme les éditeurs ont la possibilité d'être beaucoup plus disponibles et de prendre plus le temps pour discuter et échanger. Le Monde des Bulles et Manga City limitent ce genre de moments privilégiés vu leur fréquentation. Malheureusement, il ne fallait pas nous éterniser dans cet agréable lieu pour les curieux car l'heure des dédicaces que nous souhaitions acquérir approchait. Enfin "approchait". Il est temps de parler des files d'attente du festival. Vu sa taille gigantesque, la gestion des invités est à charge des exposants eux-mêmes et ils n'ont pas forcément la capacité de gérer correctement les afflux de populations lorsqu'il est l'heure pour des artistes extrêmement appréciés de pointer le bout de leur nez. En l'occurence, nous étions sur le stand Glénat pour rencontrer Olivier Ledroit, artiste visuel hallucinant à la plume d'oeuvres sombres comme Requiem ou encore Le troisième oeil. Prévu pour 15h30, son horaire de dédicace chevauchait celui de deux mastodontes du genre : Zep, géniteur de Titeuf, entres autres et Julien Neel, papa de Lou !. La file était donc centralisée pour tous les auteurs avant de se disperser en différents embranchements pour chaque artiste à son bout. Ce qui entrainait énormément de monde, confusion vu que toutes les personnes présentes n'attendaient pas la même rencontre et aussi, obligation de venir biiiiiien en avance afin de s'assurer de faire partie de la jauge d'élus. Ce problème se retrouve également à Manga City, il semble compliqué voire impossible à résoudre mais il nous fallait le mentionner car il est sûrement LE point noir du FIBD et il doit être connu des personnes n'y ayant jamais participé et souhaitant s'y rendre afin d'éviter toute déception.
Dédicace en poche, petit passage sur le stand Métal Hurlant pour rencontrer les invités avant de se diriger vers l'attraction principale de cette 50ème édition : L'exposition dédiée à l'Attaque des Titans de Hajime Isayama, l'un des invités d'honneur du FIBD. L'exposition était uniquement accessible en ayant réservé sa place et son horaire de passage en amont afin de catalyser le nombre forcément immense d'intéressés tant l'oeuvre est populaire depuis plus de 13 ans. C'est à l'Alpha Médiathèque près de la gare que le rendez-vous était donné et on peut dire qu'ils ont mis les petits plats dans les grands pour couronner cette oeuvre culte ! Quel plaisir d'admirer les planches originales exposées au milieu d'un décorum immersif rappelant les plus grands moments de la série ! L'entrée de l'exposition nous prévenait déjà d'un soin apporté à la mise en scène et une fois à l'intérieur, point de déception ! Amplement mérité ! Et une très belle manière de terminer cette première journée !
Nuit de repos vitale mais bien courte avant d'attaquer le samedi, la journée la plus peuplée du festival et donc la plus sportive ! D'autant plus sportive que nous l'avons consacrée à Manga City ! Elle est l'équivalent du Monde des Bulles pour la culture japonaise et concentre la grosse majorité des maisons d'édition dont le catalogue s'articule autour de la bande dessinée asiatique. La "bulle" a grossi depuis l'an dernier et c'est tant mieux, même si elle mériterait encore quelques bons m² ! Elle s'est également vue agrémentée d'un nouvel endroit l'espace Alligator 57, grand entrepôt aux couleurs de la culture urbaine, proposant stands de nourriture, exposants de goodies pop culture et surtout un half-pipe servant de scène aux animations principales, allant du battle de break dance à des démonstrations de skate dans la bonne ambiance. Il nous faut passer par là pour arriver à Manga City et foncer se positionner dans la file pour rencontrer le mangaka Ryoichi Ikegami, uniquement présent ce jour-là. S'il est peut-être moins connu chez nous du grand public qu'Hajime Isayama ou encore Junji Ito (que nous n'avons pas réussi à rencontrer hélas, victime de son succès), il n'est nul autre que l'un des plus grands maîtres de la BD nippone encore en vie. Son trait réaliste d'une élégance rare s'est frotté à tous les genres depuis les années 1960 et a marqué au fer rouge le manga policier et le thriller. Il a travaillé avec certains des plus grands scénaristes de tous les temps sur des séries cultures comme Sanctuary et Crying Freeman et est toujours en activité à presque 80 ans sur le manga Trillion Game avec Riichirō Inagaki, présent lui aussi sur le festival mais que nous avons également manqué ! Echanger, même très brièvement avec cette légende vivante fut un moment privilégié pour nous ! La journée commence bien dans un Manga City déjà bondé !
L'imposante entrée d'Alligator 57 menant à Manga City !
Pour se remettre de nos émotions, petit tour sur les différents stands pour quelques achats et notamment Akata, l'une des figures du manga inclusif au catalogue très qualitatif afin de récupérer le sésame pour la dédicace de l'une de leurs autrices phares : Akane Torikai dont l'oeuvre se veut explorer et mettre en avant toutes les facettes de la vie des femmes en variant les points de vue et thématiques à chaque nouvelle réalisation. La dédicace avait lieu plus tard dans l'après-midi mais comme mise en bouche, nous avons assisté à la rétrospective sur son travail, l'une des conférences ouvertes au public proposées à Manga City. Elle était présente et le moment fut très intéressant et enrichissant. S'en est suivi une pause bienvenue avant d'enfin la rencontrer pour sa séance de dédicace. Un autre grand moment, un bel échange dont nous nous souviendrons ! Ensuite, nous avons fait le tour sur le stand Quinze Fantaisies qui met en avant la bande dessinée Hong-Kongaise avec un grand nombre d'artistes invités et différentes animations comme du dessin en direct. En effet, en plus de la BD japonaise, sont à découvrir différents stands des éditeurs promouvant la BD coréenne ou encore Taiwanaise pour toujours plus de découvertes intéressantes ! Enfin, pour boucler la boucle, la journée s'est conclue par l'exposition accordée à Ryoichi Ikegami au Musée d'Angoulême. Les expositions du musée sont plus sobres en terme de mise en scène, elle se concentrent sur les oeuvres et les renseignements disposés tout le long du parcours. Une sobriété qui colle à la classe qui se dégage des dessins du maître et des corps idéalisés qui naissent de sa plume. Une chance de voir ces oeuvres de nos yeux !
De haut en bas : Exposition Ryoichi Ikegami, à corps perdus ; Exposition Les 6 voyages de Philippe Druillet et Planche tirée de l'Exposition Elle résiste, elles résistent consacrée à la BD Madeleine, Résistante de JD Morvan sur l'engagement de Madeleine Riffaud, l'une des figures féminines de la Résistance Française, l'une des nombreuses autres expositions intéressantes que nous n'avons pas eu le temps de faire !
Le dimanche matin conclut notre périple tranquillement après le rush certain des jours précédents. C'est tout endoloris mais heureux que nous retournons au musée pour l'exposition consacrée à Philippe Druillet. Une retrospective magnifique sur une oeuvre somme ! Voir de ses propres yeux ces compositions monumentales sur ces grandes feuilles au format non conventionnel étaient la meilleure manière de terminer un festival bien rempli avant le retour en train ! En espérant que ce petit récit vous aura plu ! Chaque festivalier a sa propre façon de mener son FIBD. Nous avons évidemment raté pleins de choses qui nous interessait ou dont nous n'avions pas connaissance. Angoulême est une affaire de choix mais nous espérons que notre expérience vous aura donner envie de vous y rendre pour la 51e édition ! Pour nous, le rendez-vous est déjà pris !