IMAGINEZ : Celui qui chuchotait dans les ténèbres [#2]

08 novembre 2024 à 14h00

IMAGINEZ : CELUI QUI CHUCHOTAIT DANS LES TÉNÈBRES par Lucas Sayous

Imaginez vous dans le Nord-Est des Etats-Unis, à la fin des années 1920, remarquant les formes de créatures étranges emportées par le courant d'une rivière en crue. Vous n'êtes pas seul à observer ce phénomène étrange. Autour de vous les témoignages abondent et coïncident, qu'importe la bouche qui les rapportent, que cela aille du paysan au notable du coin, tous disent avoir vu ces mêmes formes effrayantes. Le mystère s'abat alors sur les esprits. Comment expliquer que cet événement aurait bien pu être la rencontre avec des créatures que l'on pensait légendaires ?

Dans Celui qui chuchotait dans les ténèbres, nouvelle d'horreur et de science- fiction écrite par le fascinant H.P Lovecraft en 1931, nous suivons le récit à la première personne d'Albert Wilmarth, professeur de littérature à l'université d'Arkham, ville fictive de la Nouvelle-Angleterre. Dans ce récit, le professeur déroule ses souvenirs des événements.

D'abord, en ce qui le concerne, l'homme est empreint d'un scepticisme tout naturel pour un universitaire et passionné de sciences, ne croyant pas à l'existence de ces créatures. Pourtant, prenant position dans les tribunes de journaux locaux pour défendre sa thèse, ce monsieur Wilmarth reçoit un jour la lettre d'un personnage mystérieux du nom de Henri Akeley. Ce dernier tient en haute estime le personnage principal, soulignant au passage qu'il voudrait bien se ranger de son côté lorsqu’il le lit. Néanmoins ce qui le pousse à écrire au professeur réside dans les preuves irréfutables qu'il propose d'apporter pour démontrer que monsieur Wilmarth est, malgré tout, dans l'erreur. En effet, Monsieur Akeley affirme avoir vu, comme les adversaires de son destinataire, ces étranges créatures dans le lit d'une rivière.


Ainsi s'instaure un échange épistolaire tout le long du récit, rapporté par Monsieur Wilmarth, et ponctué par l'envoi des éléments qui vont progressivement changer l'opinion de ce dernier sur le sujet. Nous découvrons alors l'origine de ces créatures et les raisons qui les amènent à intercéder dans l'échange entre les deux hommes, jusqu'à ce que ces derniers se rencontrent enfin. L'angoisse tient le récit sous cloche, lui donnant l'aspect d'un véritable témoignage, parfois asphyxiant tant on est pris dans le récit. Enfin, la vérité éclate. Mais cela, nous ne nous y intéressons pas, le lecteur est libre de la découvrir avec Messieurs Wilmarth et Akeley. En revanche, venons-en plutôt à l'horreur. Halloween approchant, l'occasion se présente donc d'évoquer nos peurs, celles que Lovecraft tente de nous faire ressentir.


Veuillez ne pas approcher de cette zone !


Avez-vous peur de l'inconnu ? Ressentez vous un vertige en vous approchant d'un endroit que vous ne connaissez pas ? Lovecraft, en tout cas, ressentait probablement des frissons lorsqu'on lui proposait de se balader dans les forêts de la Nouvelle-Angleterre. Dans Celui qui chuchotait dans les ténèbres, les nuits d'horreur ponctuent le récit mais la pénombre des collines boisées du Vermont est d'autant plus effrayante. Monsieur Wilmarth en fait écho tout au long de la nouvelle. Cet océan terrestre abrite des formes de vie que l'on ne peut pas prétendre connaître entièrement. Cachées dans les profondeurs de la forêt, les créatures apparues dans le lit des rivières vivent éloignées de la civilisation. En effet, comme en fait mention le professeur, les premiers colons se cantonnèrent au littoral atlantique pour établir leurs villes, daignant ne pas s'aventurer plus loin dans les terres. D'ailleurs, ce fut aussi le cas des natifs, qui ne souhaitaient pas se perdre entre les arbres. Le silence dans l'étendue vaste des forêts pourrait en partie
expliquer ce frisson, à quoi s'ajoute aussi la peur de l'inconnu. En bref, des éléments que rapporte le narrateur lui-même lorsqu'il se doit de traverser ces régions, le plongeant dans un certain malaise. Cependant cela s'explique aussi par la présence, d'après des légendes, de créatures monstrueuses dont les hommes auraient décidé très tôt dans l'histoire de ne jamais approcher.


D'après la théorie des anciens astronautes.. ?


Si en réalité les contes et légendes rapportés par les colons britanniques et les Indiens d'Amérique n'étaient pas le fruit de leur imagination ? Que leurs peurs n’étaient pas irrationnelles ? Et si, justement, il s'avérait que les créatures dont il est question après les crues existaient bel et bien avant l'arrivée des hommes sur Terre ? Il serait difficile de le croire. Pourtant, pour Monsieur Wilmarth, force est de constater qu'il se trompait depuis le début. Lui qui admet avoir expliquer dans un premier temps que les légendes ne sont que des preuves de l'idéalisme et de la spiritualité ancrés dans l'esprit humain, le professeur finit par se résigner en observant attentivement chaque preuve envoyée par Monsieur Akeley. Tout comme son auteur, le personnage principal glisse vers un matérialisme qu'il ne peut renier. Effectivement il se retrouve confronté à la réalité matérielle, voire factuelle de ce monde. Le point commun entre les récits des colons britanniques et des Indiens ne résiderait donc pas dans l'imaginaire des deux peuples. Au contraire les mystérieuses créatures ne seraient pas le fruit d'une imagination mais seraient de véritables monstres antédiluviens observés en pleine nature. Seule la langue poserait un problème pour les identifier. Par conséquent dans le récit le matérialisme l'emporte, prouvant par là que les vérités matérielles sont bien plus effrayantes que de simples mythes et légendes. Ainsi, quoi de mieux que la science pour davantage appuyer ces vérités ?

De la science-frisson


Tout comme ce fut le cas pour Mary Shelley et bien d'autres auteurs qui suivirent la tendance, la science était un objet de crainte. Frankenstein était la personnification de la science se retournant contre le scientifique, de la création se retournant contre son créateur. Or dans la nouvelle de Lovecraft, la science est effrayante dans une autre mesure, celle de la complexité et de l’infinité qu’elle apporte à l’esprit humain. Ce dernier serait sans doute trop limité, non pas parce que l'homme est un animal dénué d'intelligence, mais au contraire parce qu'il s'agit d'une intelligence extraordinaire enfermée dans un corps fait de chair et d'os. La complexité de la science est angoissante lorsque le romancier américain s'y réfère. En raison, d'abord, de sa vertu à placer l'homme face à l'infini de l'univers comme nous l’avons dit, mais également à cause de la remise en question ce que l'on appelle l'anthropocentrisme, un terme désignant le fait de mettre systématiquement l'homme au centre de la science et de son environnement. Désormais l'homme qui se projette vers les étoiles comprends qu'il n'est pas physiologiquement bâti pour les atteindre, ou du moins pour voyager entre les corps célestes. Lovecraft montre ainsi que le corps de l'homme pourrait être davantage un inconvénient qu'une chance. Expliquant en partie pourquoi les créatures étranges, de par leurs organismes, constituent en parallèle une
intelligence supérieure, ce dont se targue bien de faire comprendre le récit.

Dernières remarques


Il est fait mention, dans le récit, de la découverte d'une planète ayant un lien très étroit avec les événements rapportés par Monsieur Wilmarth. En effet, la nouvelle paraît en 1931, seulement quelque mois après la découverte de Pluton, nommée d'après le dieu des Enfers. On peut penser que ce corps céleste aux confins de notre système solaire avait attisé la curiosité comme la crainte chez Lovecraft. En l'occurrence, nous retrouvons dans ce genre de découverte des éléments vus précédemment : la peur de l'espace, de l'inconnu et de la science. Cependant, que l'auteur repose en paix, Pluton n'est désormais plus une planète d’après la communauté scientifique !
Enfin pour les passionnés de manga, nous vous conseillons vivement de lire la version illustrée de la nouvelle par Gou Tanabe, aux éditions Ki-oon.
En attendant, nous nous retrouvons prochainement pour une nouvelle présentation de roman. D’ici-là, portez vous bien !

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