IMAGINEZ : LA GUERRE OLYMPIQUE [#4]

24 janvier 2025 - 14:00

Imaginez : La Guerre Olympique par Lucas Sayous

 

Imaginez, au XXIIIe siècle, un monde divisé entre deux puissances rivales s’affrontant sur les terrains de sport. Pour défendre leurs couleurs, des athlètes sur-entraînés, dopés, drogués, conditionnés pour dépasser les limites humaines. Imaginez que les Jeux Olympiques se transforment en véritable événement politique où se montre la puissance de grands blocs idéologiques au travers de celle de leurs athlètes. Nous vous l’accordons, cela a déjà existé et existe sûrement encore aujourd’hui. Mais imaginez que derrière la façade d’une confrontation idéologique se cache une coopération entre les soi-disant rivaux dans le but de réguler « pacifiquement » la démographie mondiale. En somme imaginez un système dystopique mondial qui s’instaure avec la complicité des deux camps. Chacun y trouvant son compte, comme si le Soviétique et l’Américain combattaient finalement pour une seule et même cause ! 

Il s’agit de l’idée émise par le prolifique auteur français Pierre Pelot dans son roman La Guerre Olympique paru en 1980. Dans ce roman nous suivons les destins d’un sportif, Pietro, et de deux condamnés à morts, Yanni et Mager. Le premier est un jeune condamné politique français, contraignant du même coup les membres de sa famille à subir le même sort. Le second est un ancien clown hongrois, sans famille et condamné pour l’ignoble meurtre de sa compagne.

Dans son déroulé le récit prend une trame relativement claire et simple. Tout débute avec l’épreuve qualificative du jeune Pietro. A la suite de sa qualification à l’épreuve finale (nos lecteurs nous excuserons de leur avoir gâché la surprise) nous suivons comment chacun des deux condamné se préparent à mourir ou, dans le cas contraire, à vivre de nouveau libre. Ponctué de réflexions sur l’enjeu de cet événement, du consentement de la population face aux règles de ce jeu macabre, mais aussi de scènes émouvantes, le roman invite le lecteur à observer le monde autour de lui. Nous nous intéressons donc ici à vous présenter trois aspects essentiels du récit parmi les nombreuses que l’on peut retrouver au fil des pages.

Le sport pour se vider la tête… et celle des supporters

Quoi de mieux que d’aller se dépenser pour se vider l’esprit et passer à autre chose ? Bien plus encore, quoi de mieux que de se poser devant une compétition sportive et se contenter d’observer ce qui se déroule devant soi ? 

« Il n’est de véritable tyrannie que celle qui s’exerce inconsciemment sur les âmes, parce que c’est la seule qui ne puisse se combattre. » comme le disait déjà il y a plus d’un siècle Gustave Le Bon. Or cette phrase siérait parfaitement à l’idée principale du roman de Pierre Pelot. Effectivement le premier problème abordé par ce roman dystopique tient à la question du contrôle des foules en leur donnant des jeux. Sorte de panem et circences, du pain et du cirque comme on en voyait dans l’Antiquité romaine. 

Néanmoins, outre la ferveur suscité par l’événement, il s’agit de voir comment ce contrôle des foules conduit à des dérives totalitaires. En effet, ce contrôle atteint un degré de dystopie lorsque les pouvoirs politiques décident d’user d’une méthode terrifiante pour réguler la population: l’ange-gardien. Ce dispositif imaginé par Pierre Pelot est inséré dans la nuque de chaque individu condamné. A la suite de cela, le condamné placé théoriquement dans un couloir de la mort doit attendre jusqu’à la prochaine compétition pour connaître l’issue de son sort. Si ce dernier s’avère néfaste l’ange-gardien éclate, et vous pouvez bien vous douter de ce qui se passe alors dans le cerveau de la victime.  Le lecteur est donc interpellé et amené à se poser des questions. A quoi ressemble la vie d’un condamné à mort ? Que ressent-on une fois au pied du mur, lorsque la date est posée mais que l’on vous laisse entrevoir une infime chance de vous en sortir ? C’est là tout l’enjeu de ce récit, dans lequel on voit d’un côté le jeune Yanni accablé et le vieux Mager équipé d’une arme nageant en plein délire, criant haut et fort « je veux vivre ! ». Par conséquent, l’histoire devient tragique lorsque le sort des individus est lié à celui de sportifs tout aussi exploités pour des raisons politiques.

Le corps d’athlète : subir sans souffrir

Un autre aspect qui mérite le détour dans ce récit réside dans la place occupée par le corps de l’athlète au coeur de cette lutte infernale entre les deux camps. Lorsque Pierre Pelot écrit ce roman nous sommes en 1980, une année olympique marquée par le boycott de la compétition par les Etats-Unis qui ne souhaitaient pas envoyer leur délégation à Moscou pour des raisons politiques. Pourtant les deux blocs se faisant face se situaient au sommet du sport professionnel et la question du dopage était pesante. 

En effet les corps poussés à leur extrême limite ainsi que la capacité des sportifs à passer outre les blessures en des temps records interpellaient l’opinion publique mondiale. La science était au service du sport ! Dans le roman qui nous intéresse le surdosage d’antidouleur est un fait banal qui a pour conséquence d’entraîner dans les arènes des sportifs à peine conscients de leur force et de leur corps. Par exemple, au premier chapitre le combat de pugilat entre Pietro et son adversaire tourne au véritable bain de sang. La puissance des deux sportifs se déchaîne et les détails ne manquent pas pour montrer l’horreur des coups portés. Plus loin dans le récit le Français ne remarque sa joue déchiquetée qu’à la vue de cette dernière. 

Ainsi le mérite d’un tel roman est d’interpeller sur la capacité des sportifs de haut niveau à passer le cap de la « limite » que l’on vante souvent. Ce roman aux échos encore actuels met en évidence une destruction des corps athlétiques pour des raisons à la fois politiques et sportives. De fait, il y a de quoi se demander à quel point nous demandons à nos sportifs préférés d’être performants. 

 

Le triangle des Bermudes

Le drame progresse au fil des pages et le lecteur observe une relation affermie entre les trois personnages principaux : Pietro, le héros à la recherche de la gloire ; Yanni, l’étudiant du bloc Blanc condamné pour incitation à la subversion, et Mager, le vieux clown du bloc Rouge condamné pour un crime de droit commun. Comme le lecteur peut s’en douter, le sort de chacun des personnage est lié, à distance, à celui des autres. Comme le disait si bien le titre d’un tube du groupe ABBA : The winner takes it all, le gagnant prend tout ! Or dans les conditions posées par ce système dystopique, le gagnant remporte le droit de vivre, tandis que son opposant, lui, est condamné à mort. Nous voyons donc l’apparition d’un triangle, sinon d’une pyramide au sommet de laquelle se situe Pietro, le personnage dont dépend la survie des deux autres. La finalité de son effort est donc déterminante. Néanmoins, nous laissons le loisir au lecteur de découvrir la fin  haletante de ce récit pour comprendre comment le malheur peut frapper chacun des trois personnages.

Dernières remarques 

La Guerre Olympique est un roman immersif ponctué par des tableaux utiles à la compréhension du récit. Le lecteur y trouve la liste des participants mais aussi les données chiffrées de la population mondiale. Ainsi il est possible de se faire une idée du nombre de vies en jeu au cours de l’événement, rendant le récit bien plus entraînant.

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